mercredi 8 décembre 2010

Taxi-jasette - Le malheur des uns, le bonheur des autres

Jasette en taxi. Montréal, centre-ville. « Comment vont les affaires? »
- Pas fort!, dit le chauffeur. Avec l'autobus 747 qui amène le monde à l'aéroport pour 7 $ et avec les Bixis, c'est 30 % de chiffre d'affaires au moins qu'on a perdu.
- Les Bixis? Les gens qui pédalent prenaient-ils le taxi?
- C'était des petites courses, des étudiants en retard, mais il y en avait. Les touristes aussi essaient le Bixi. Et là, on va payer 45 $ en plus pour l'immatriculation de l'auto! 45 $! Mais nos permis, eux, ne baissent pas.
- Allez-vous demander que le coût du permis diminue?
- On devrait...
- Vous devez être content de l'hiver. Ça enlève des Bixis.
- Tout ça, c'est la faute du maire Tremblay. Il ne s'occupe pas du monde ordinaire!

Y avoir pensé, la cliente lui aurait parlé de la hausse des tarifs de métro et d'autobus. Pour l'encourager.

dimanche 5 décembre 2010

11 - Faire peur au monde

Faire peur au monde représente une stratégie efficace pour brouiller la réflexion. Si l'on précise, en plus, qu'on ne veut surtout pas faire peur au monde, mais qu'il s'agit d'une réalité incontournable, vous sentez-vous rassuré?

Ou doublement piégé?

Admirons donc le Conference Board qui, à la mi-novembre, a lancé avec force mots-chocs le rapport Les finances publiques du Québec : l'heure des choix a sonné, de Mario Lefebvre (*1).

Les 36 pages débordent de chiffres et calculs : de toute beauté.

Il n'est pas dans notre intention de les décortiquer.
Les perspectives qui ressortent à la lecture de ce rapport ne se trouvent pas dans l'arithmétique.

C'est l'intention qui compte, dit-on. Allons-y voir.

LE CHOIX DES DONNÉES

L'intention réside d'abord dans le choix des éléments mis en évidence par l'analyse. Nous résumons.

On a élaboré des prévisions de dépenses échelonnées sur vingt ans.
On extrapole des données de 2010 jusqu'à 2030 pour 1) le déficit du Québec, 2) les services publics en santé et 3) en éducation en lien avec 4) le vieillissement de notre société.

Pour les revenus, le Conference Board explique qu'il croit que ce sera limité par une croissance économique modeste. Rien d'autre.

Le résultat? Plus de 45 milliards $ de déficit québécois en 2031.

Le clou est enfoncé par l'unique exemple d'une unique solution que choisit l'organisme : augmenter la taxe de vente. Ça atteindrait 19,5 % en 2031 pour le Québec, selon son scénario.

Ayoye! Tsss :  l'auteur du rapport, M. Lefebvre, précise qu'il ne veut pas être « apocalyptique ». 

QU'EST-CE QUI CLOCHE DANS CETTE ANALYSE?

Il s'agit d'extrapolations et d'hypothèses, mais au final, c'est devenu ce qui surviendra. On est passé de ce qui pourrait peut-être arriver à la position de l'oracle nimbé de certitudes.

Il y a aussi tout ce qui manque, tout ce qu'on n'a pas intégré, tout ce dont on ne tient pas compte.

Par exemple, l'étude précise que le déficit actuel, établi à 4,5 milliards $, est essentiellement dû à l'argent dégagé par le gouvernement pour soutenir l'économie depuis la dernière Crise financière mondiale.

Le Conference Board n'évoque pas de mesures pour diminuer le déficit actuel, par exemple en mettant à contribution les entreprises. Elles en profitent pourtant au premier chef.

Autre lacune : le rapport se limite à une extrapolation de certaines dépenses et revenus, alors qu'un gouvernement, dirigeant toute une société, doit intégrer des critères autrement plus complexes. 

Ce qui ressort, c'est que le Conference Board a élégamment tourné les coins carrés.
Le nuage noir des hypothèses justifie le prétexte: frapper les esprits pour faire peur au monde.

Image dramatique pour image dramatique, son ultimatum est aussi impitoyable que de jeter la p'tite vieille, le p'ti vieux et la baignoire avec l'eau du bain parce qu'on veut limiter les dépenses de savon.

POURQUOI?

La réponse provient des questions posées en conclusion.

Le Conference Board agite le tocsin : si la population veut garder l'universalité des soins de santé, et conserver de bas frais pour que les jeunes s'instruisent davantage, la population doit comprendre que cela a un coût.

«C'est aux citoyennes et citoyens de dire à leur gouvernement des années à venir le type de société qu'ils désirent.»

Le Conference Board fait planer que la situation idéale pour le Québec serait un déficit éliminé avec les systèmes de santé et d'instruction publics éliminés.

Cette vision ne tient pas compte d'impacts humains, sociaux, voire économiques si elle était réalisée.

Car les dépenses en ne disparaîtront pas même si les perspectives de vivre vieille et vieux en forme s'améliorent constamment. S'instruire reste vital, d'autant que plus une personne est instruite, plus elle peut garder un bon niveau de vie et de santé.

Cela a, encore une fois, été confirmé le 29 novembre par les Résultats d'enquêtes sur la santé et les habitudes de vie des personnes aînées (*2), et c'est qui se dégage des multiples études de l'Institut de la statistique du Québec.

Le vieillissement de la population pose de vastes défis.
Or, ce rapport du Conference Board limite les champs d'action potentiels par son approche étriquée et son recours au catastrophisme émotif. Il n'ouvre pas de perspectives.

On comprend que l'objectif est d'orienter les politiciens et les dirigeants d'entreprises. Mais par rapport à tous les enjeux, et surtout à toutes les personnes en cause, les sentiers privilégiés se révèlent trop étroitement bornés.

C'est cette intention-là qui fait peur.
-30-

*1- http://www.conferenceboard.ca/e-library/abstract.aspx?did=3902

*2- http://areq.qc.net/no_cache/publications/communiques/communique/article/347/2/

Qu'est le Conference Board? 
Il se décrit comme un organisme de recherche appliquée, le plus en vue au Canada, indépendant et sans but lucratif.
Il ajoute qu'il est objectif, non partisan, qui ne défend pas d'intérêts particuliers.
Il se finance en vendant ses services aux secteurs privé et public.
Les services : formation et  perfectionnement en direction et capacités organisationnelles, réseautage parmi les gens d'affaires et autres clients du service public, analyses et prévisions économiques, en rendement des organisations et en politiques gouvernementales.
Enfin, il est affilié au Conference Board Inc. à New York qui dessert près de 2000 entreprises de 60 pays.

-30-